Laurent Mahieu, secrétaire général de la CFDT Cadres

« La crise a contribué à ouvrir des portes pour repenser le paritarisme et le cadre social. »

Qu’est-ce qui vous a amené à orienter votre parcours professionnel vers le champ des relations sociales ?

Après une formation d’ingénieur axée sur le transport et mon service militaire, j’ai été recruté par la RATP. J’ai exercé des postes très différents les premières années, ce qui correspondait à un parcours « normal » pour un jeune ingénieur dans une telle entreprise. Dans le sillage des lois Auroux de 1982, se sont mis en place les groupes d’expression directe des salariés et j’ai participé à l’un d’eux dédié aux cadres, organisé par la CGT de la RATP. A l’époque, Les questions sociales m’intéressaient déjà. 

Je me suis syndiqué en 1993, dans le cadre d’un conflit, pour essayer d’influer sur le devenir de notre équipe, pensant qu’on est aussi bien défendu par soi-même que par les autres. A ce moment, j’étais dans un petit bureau d’étude de la RATP et se posait la question, dans le cadre d’une réorganisation, de savoir si ce bureau allait être raccordé à un autre. L’objet de mon engagement portait alors davantage sur des problématiques propres à mon activité que sur des sujets globaux. 

L’année suivante, j’ai été candidat aux élections des délégués du personnel, puis à celles du comité d’entreprise du secteur bus de la RATP. Elu aux deux, mes mandats ont ensuite été reconduits et on m’a confié des responsabilités transverses au niveau syndical au sein de la RATP. Ayant un parcours professionnel assez varié, j’avais une bonne connaissance de l’entreprise et d’un certain nombre de dossiers sociaux. La RATP a pour particularité d’avoir un droit syndical et une pratique de la négociation intense, notamment avec l’alarme sociale qui vise à ce que le conflit se résolve en obligeant les acteurs à se mettre autour de la table et faire le point sur la situation. J’ai été nommé délégué syndical central adjoint puis secrétaire général adjoint du syndicat CFDT de la RATP, en charge de la politique revendicative (les 35 heures, l’égalité professionnelle, la formation, etc.). 

En 2001, j’ai intégré le bureau national de la CFDT-Cadres (l’Union Confédérale des ingénieurs et Cadres)pour y représenter les cadres franciliens. De 2003 à 2013, j’ai été membre de l’exécutif de l’Union, j’étais alors en charge des dossiers d’emploi et de conditions de travail. Cela m’a amené à être administrateur de l’ANACT pour la confédération CFDT, pendant les années où se sont joués les grands enjeux sur la question du stress et des risques psychosociaux, suite à l’affaire France télécom. J’ai également été administrateur de l’APEC. 

En 2013, j’ai repris le chemin de la RATP après 10 ans d’activité syndicale externe, en gardant un seul mandat, à la commission des titres d’ingénieur. J’ai présidé cette dernière pendant 4 ans. C’est un univers plus ouvert qu’on ne le croit, dans lequel on retrouve des représentants des employeurs et des salariés, ainsi que des représentants du monde académique. Ainsi, nous avons eu à l’époque des échanges entre la CTI et RDS !

Alors que je n’avais pas terminé mon mandat à la commission, la confédération CFDT m’a sollicité pour réintégrer l’équipe nationale permanente de la CFDT Cadres. Je suis aujourd’hui le secrétaire général de cette Union des fédérations et des régions CFDT. 

Quel regard portez-vous sur le dialogue social depuis le début de la crise provoquée par la pandémie de covid-19 ? Quelles sont les évolutions souhaitables pour l’avenir et quelles seraient les pratiques à conserver ?

Là où la culture du dialogue social était installée, le dialogue social à distance a pu se mettre en place, de façon satisfaisante. A contrario, dans un contexte de climat social dégradé, la crise a pu cristalliser les tensions. Je perçois cette pandémie comme un miroir grossissant des pratiques de dialogue entre partenaires sociaux.  Cela peut s’illustrer par la gestion de la crise dans deux entreprises ayant des visions opposées du dialogue social : Amazon et Toyota. Dans la première, l’absence de dialogue social a créé une crise qui s’en est suivie d’une fermeture de l’entreprise par décision publique, entrainant l’arrêt de l’activité pendant plusieurs semaines. La seconde, Toyota, où il y a une pratique installée d’implication des acteurs sociaux et des salariés dans les processus d’organisation du travail, a été capable d’adapter rapidement son organisation. 

Il existe aussi des difficultés à promouvoir le dialogue social lorsque les interlocuteurs du comité social et économique ne sont pas syndiqués. Un déficit d’appui auprès des représentants du personnel peut être observé. Peut-être que cela sera une leçon à tirer de la crise. Il faut également souligner qu’on a été capable de continuer à mener des négociations au niveau interprofessionnel. Je pense que le contexte a contribué à stimuler le paritarisme opérationnel et à revaloriser la société civile, deux piliers de notre cadre social. Il faut être en capacité de les faire vivre, tout en vivifiant le dialogue social tripartite avec l’Etat, particulièrement durant cette période. 

Vous êtes adhérent de l’association Réalités du dialogue social dont la vocation est de promouvoir le dialogue social. Pourquoi est-ce si important pour vous ?

C’est essentiel car le dialogue social est un sujet encore extrêmement méconnu. A la fois dans le monde du travail, l’enseignement supérieur et, plus globalement, dans la société. Pourtant, il permet de faire évoluer la performance sociale et économique de l’entreprise, et demain, la performance environnementale. 

Un autre enjeu actuel, lié aux ordonnances, porte sur le devenir des élus dans l’entreprise. Le nombre de mandats successifs étant limité, comment les entreprises où il y a des élus intègrent-elles cette montée en compétences liées à la pratique du dialogue social et à la concertation dans les parcours ? Il y a également une difficulté à faire avancer le concept de formation commune, issu de la loi Rebsamen, l’idée étant qu’employeurs et représentants des salariés se forment ensemble sur les objets et modalités du dialogue social. Or, en France, la vision dominante du dialogue social reste conflictuelle. Nombre d’études internationales montrent que les tissus social et économique français manquent de savoir-faire dans les domaines des relations sociales et du dialogue professionnel. Cela affaiblit notre capacité de résilience, notre capacité à rebondir et à moderniser notre société. 

C’est pourquoi, on a besoin d’acteurs qui sont les promoteurs du dialogue social et qui permettent de travailler, sur le fond et dans un contexte non conflictuel, sur les enjeux du dialogue social. C’est en cela que l’association Réalité du dialogue social joue un rôle important. 

Avez-vous vu un film, écouté un podcast ou lu un livre que vous recommanderiez à la Communauté Réalités du dialogue social ?

Sur le monde du travail, j’ai récemment vu le film Grand Central, de Rebecca Zlotowski. Il raconte la vie d’un jeune homme, interprété par Tahar Rahim, intérimaire qui se fait embaucher dans une centrale nucléaire. J’ai pu découvrir les conditions de travail de cet univers, la gestion des doses de radiation, le risque quotidien. Olivier Gourmet tient un rôle intéressant dans ce film, me rappelant celui qu’il tient dans le film d’Antoine Russbach, Ceux qui travaillent, sur la solitude du cadre face à la prise de décision. 



X