
24 Avr Jean-Claude BARBOUL, directeur de la stratégie du paritarisme, Allianz France
« Le dialogue social, ce n’est pas qu’un mot — c’est une méthode, une culture, un levier pour avancer ensemble. »

Qu’est-ce qui vous a amené à orienter votre parcours professionnel vers le champ des relations sociales ?
Je suis tombé dans la marmite très jeune. J’ai exercé des fonctions syndicales d’entreprise, au niveau régional puis national, aussi bien dans le secteur professionnel qu’interprofessionnel. J’ai également beaucoup œuvré dans le champ de la protection sociale, en particulier sur les retraites : j’ai présidé l’AGIRC, l’AGIRC-ARRCO, AG2R-La Mondiale, et j’ai exercé des mandats dans les principaux groupes de protection sociale paritaire. Ce parcours, je l’ai entamé tôt, notamment par l’assurance chômage. Depuis quatre ans, je suis chez Allianz, où j’exerce aujourd’hui des fonctions qui permettent de mettre à profit ces expériences.
Pourquoi les relations sociales ? Parce que je crois profondément qu’on avance quand on se parle. Le dialogue social repose sur deux piliers : d’une part, le dialogue – la volonté réciproque de se reconnaître, d’écouter, de comprendre les contraintes et les besoins de l’autre. D’autre part, le social – c’est-à-dire l’attention aux réalités humaines de l’entreprise, là où les décisions prennent forme. Un dialogue social bien construit, qu’il soit institutionnalisé ou informel, permet d’anticiper les tensions et de trouver ensemble des solutions pérennes.
Y a-t-il des faits marquants, des réalisations dont vous êtes particulièrement fier ?
La fusion AGIRC-ARRCO est probablement la réalisation dont je suis le plus fier. Le régime de retraite complémentaire des salariés du privé, est le deuxième en importance en France. Nommé administrateur de l’ARRCO en 2005, puis de l’Agirc en 2009, ma Confédération m’avait donné pour mission d’aboutir à cette fusion. Elle s’est concrétisée en 2019, après un long travail de négociation.
Certains diront que cela a pris trop de temps, mais nous l’avons fait — et ce n’est pas rien. La gestion paritaire a cette vertu : elle oblige à construire un compromis solide avant de passer à l’action. Là où l’approche étatique annonce parfois beaucoup sans mise en œuvre réelle, le paritarisme permet une construction lente mais efficace. Fusionner 144 régimes de retraite entre 1947 et 2019, c’est une réussite structurante.
Je suis également fier du travail mené à la CFDT sur le renouvellement militant. J’ai exercé des responsabilités au sein d’une fédération professionnelle, et vingt ans plus tard, une bonne moitié de ses dirigeants actuels sont issus du vivier que nous avions identifié. Voir cela en perspective est une vraie satisfaction.
Enfin, ce qui me tient à cœur, c’est d’avoir vu se valoriser mes compétences syndicales dans mon activité professionnelle actuelle. Grâce notamment au repérage des compétences syndicales, on comprend mieux aujourd’hui combien ces expériences forgent des savoir-faire utiles en entreprise. Allianz en est la preuve : les fonctions que j’y exerce aujourd’hui donnent un prolongement concret et stratégique à mon engagement syndical passé.
Vous êtes adhérent de l’association Réalités du dialogue social dont la vocation est de promouvoir le dialogue social. Pourquoi est-ce si important pour vous ?
L’association permet de rencontrer d’autres personnes, de réalités professionnelles différentes. Il y a un intérêt de réseau, bien sûr, mais surtout un intérêt intellectuel. Réalités du dialogue social nous invite à faire des pas de côté, à explorer des sujets décalés. L’exemple du débat autour de la nature et de la place des administrateurs salariés dans la transition écologique, du 2 avril, en est l’illustration : cela nous éloignait du quotidien mais stimulait la réflexion.
Il y a une vraie valeur de confrontation des idées. Pouvoir discuter entre personnes issues de mondes différents, c’est rafraîchissant, stimulant, nourrissant.
Deuxième raison, le dialogue social reste sous-valorisé dans l’espace public. On retient souvent les manifestations, les conflits, rarement les pratiques constructives qui ont lieu dans les entreprises. Pourtant, sur le terrain, ça fonctionne : même si les échanges peuvent être rugueux, ils existent. On se parle, on avance.
Enfin troisième raison, l’association promeut un modèle de dialogue qu’il est urgent de faire mieux connaître. Dans un contexte politique parfois violent, où l’on oppose plus qu’on ne relie, l’entreprise reste un espace où la parole circule, où l’on coconstruit. Le dialogue social, ce n’est pas qu’un mot — c’est une méthode, une culture, un levier pour avancer ensemble.
Avez-vous vu un film, écouté un podcast ou lu un livre que vous recommanderiez à la Communauté Réalités du dialogue social ?
Je recommande vivement la lecture de « Les normes à l’assaut de la démocratie » de Jean-Denis Combrexelle. Cet ouvrage aborde le rôle des normes dans notre société. L’auteur, ancien Directeur général du Travail, y montre à quel point le droit est coconstruit, notamment via le dialogue social. On oublie souvent que négocier, c’est produire du droit.
Il y a une tension bien française entre la volonté de normer à l’excès et le besoin de souplesse dans les relations professionnelles. Ce livre éclaire les limites de cette obsession normative et invite à faire confiance aux acteurs de terrain. Il résonne particulièrement pour qui pratique la négociation collective.

Enfin, je crois beaucoup à la décentralisation des débats. Originaire du Nord, je suis attaché à l’idée de sortir du tout-parisien. C’est aussi pour cela que j’ai soutenu l’organisation du hackathon à Lille du 20 mars : faire vivre ces dynamiques de dialogue social au plus près des territoires.