Gabriel Artero, président de la fédération de la Métallurgie CFE-CGC


Après la lame sanitaire, nous devrons faire face à une lame sociale.                                          

Qu’est-ce qui vous a amené à orienter votre parcours professionnel vers le champ des relations sociales ?

Cadre chez AIRBUS SAS, j’ai mené toute ma carrière professionnelle et syndicale dans ce groupe et passé près d’un quart de siècle chez AIRBUS HELICOPTERS Marignane. J’ai conduit parallèlement mon engagement syndical à la CFE-CGC, en exerçant successivement différents mandats sur le terrain. Ceux-ci m’ont naturellement amené à présider le syndicat Aéronautique, Espace et Défense CFE-CGC, auquel je suis rattaché, puis la fédération, depuis 2005.

Représenter les autres, c’est avant tout un acte volontaire et militant. Il peut être induit par les circonstances, par accident mais pas par hasard. L’on porte en soi quelque chose d’inné, ce sens du collectif, d’aller vers les autres, de savoir écouter, vouloir donner du relief à la défense du bien commun et faire preuve d’une certaine détermination. A la base, les ressorts ne sont pas très éloignés de ce que l’on rencontre dans le monde politique ou associatif. La plupart du temps, vous êtes « appelé », par vos propres collègues de travail dans les PME-PMI, ou dans les grands groupes. Au départ, c’est un  « …vas-y toi, tu sauras dire les choses… »  qui se transforme plus tard par un engagement au long cours, une aventure en Relations Sociales, quelquefois ingrate mais tellement enrichissante. Si j’avais à refaire le parcours, je le referais sans hésitation.

Quel regard portez-vous sur le dialogue social depuis le début de la crise provoquée par la pandémie de covid-19 ? 

Dès les premiers jours de confinement imposés par le gouvernement, nous avons entamé avec l’UIMM une série de négociations, qui ont abouti à la signature quasi unanime, le 20 mars, d’une déclaration commune, convaincus que pour créer de la norme sociale utile, elle devait être au plus près des besoins. Dans un premier temps, nous avons tout mis en œuvre pour préserver la santé et la sécurité des salariés, un objectif impérieux. Dans un deuxième temps, il a fallu poser les conditions pour une reprise possible et partielle de l’activité. Un accord de branche supplétif est venu la compléter, incitant à la mise en place de mesures urgentes en matière de congés, les « fameux » six jours de congés payés, pouvant être imposés par les employeurs.

De nombreuses entreprises ont, elles aussi, conclu des accords, limités dans le temps, sur l’activité partielle, les congés, voire le travail en présentiel pour faire face à l’épidémie de Covid-19. Cela a été le cas chez Airbus, Daher, Honda Motor Europe, Legrand, PSA, Renault, Renault trucks, Saft, Sagem, Schneider Electric, STMicroelectronics, Thales, Valéo, etc.

Les contre-exemples de certaines mauvaises pratiques d’employeurs ont été dénoncés à l’UIMM qui a bien compris l’intérêt de contribuer à corriger le tir, là où les situations étaient inacceptables. Notre organisation patronale de branche a parfaitement intégré l’importance du dialogue social dans la phase de redémarrage actuel. Mais, dans un deuxième temps, elle aura grandement besoin des partenaires sociaux pour engager des négociations sur les mesures d’adaptation qui seront nécessaires à l’Industrie ou ses filières pour se relancer.

Quelles sont les évolutions souhaitables pour l’avenir ?

Concernant la réorganisation du travail, on a pu constater le recours massif au télétravail, pour toutes les fonctions qui ne nécessitent pas une présence sur site. On peut d’ailleurs penser que ce dispositif changera, pour le futur, l’idée que se font les employeurs, de ce type d’organisation ; notamment là où il n’y a pas de productions de biens matériels, mais de services.

Concernant la reprise, celle-ci ne pourra être que très progressive et les organisations du travail durablement modifiées. Après la lame sanitaire, nous devrons faire face à une lame sociale. Autrement dit, les problèmes d’emploi dans la branche sont déjà à notre porte. Les employeurs vont nécessairement réfléchir à recalibrer leur outil de production. Les équilibres entre économie, compétitivité et social devront être négociés et ce ne sera pas simple. Cela supposera d’imaginer des dispositifs d’accompagnement que nous n’avons pas encore esquissés et de faire preuve de beaucoup d’abnégation et de solidarité pour sauver l’emploi. Pour cela, sommes-nous capables de négocier collectivement des contreparties ?  Si oui, lesquelles ? Une des voies possibles est d’organiser la solidarité de l’emploi qui préserve aussi les compétences, peut-être au niveau des filières, comme par exemple dans la filière aéronautique ou celle de l’automobile. Cette approche nous place sur un chemin de crête et forcement il est exposé.

Vous êtes adhérent de l’association Réalités du dialogue social dont la vocation est de promouvoir le dialogue social. Pourquoi est-ce si important pour vous ?

En ce qui me concerne, c’est le lieu où je peux affirmer que, quel que soit le niveau et la temporalité, il faut toujours réunir trois ingrédients pour un dialogue social de qualité : la confiance, le diagnostic partagé et l’intérêt des parties à agir. Ils ne sont pas suffisants mais indispensables. Qu’il vous manque un des trois et la résolution des problèmes ne peut se faire. C’est cela qu’on devrait enseigner dans les cursus RH et surtout dans ceux qui se spécialisent dans les Relations Sociales. En tout premier lieu, la confiance ne se décrète pas. Elle se bâtit patiemment par des relations interpersonnelles. Comme les allumettes, elle se grille en une seule fois.

Avez-vous vu un film ou lu un livre que vous recommanderiez à la communauté Réalités du dialogue social ?

Je me suis attaqué au livre de Joseph Stiglitz, prix Nobel d’Economie : « Peuple, pouvoir & profits » dont le sous-titre est « le capitalisme à l’heure de l’exaspération sociale ». Sorti en septembre 2019, ce « pavé » de 400 pages prend une résonnance toute particulière en cette période de pandémie.

 

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