Jean-Yves Petit, directeur des Relations Sociales, des Règles RH et des Instances Règlementaires Nationales du Groupe La Poste

« le Covid-19 a constitué un frein et un accélérateur du dialogue social.»

Qu’est-ce qui vous a amené à orienter votre parcours professionnel vers le champ des relations sociales ?

Pour être franc, ce n’est pas moi qui suis venu aux Relations sociales……mais ce sont elles qui sont venues à moi. Je les côtoyais, disons d’un point de vue formel, par ma participation aux instances de représentation du personnel quand j’occupais des fonctions de juriste. 

Puis le DRH de notre Groupe m’a proposé de m’orienter vers les relations sociales. Depuis presque 14 ans, je n’ai jamais regretté ce choix car plus qu’une matière, les relations sociales sont une manière d’organiser les relations humaines dans l’entreprise, surtout dans un grand groupe comme La Poste ayant la volonté d’apporter des solutions très concrètes aux problématiques économiques et sociales majeures de l’entreprise. 

La pandémie a d’ailleurs donné l’occasion d’interroger ces pratiques et a ouvert une période passionnante pour l’enjeu que représentent les relations sociales pour « conduire » l’entreprise en période de crise.

Quel regard portez-vous sur le dialogue social depuis le début de la crise provoquée par la pandémie de covid-19 ? Quelles sont les évolutions souhaitables pour l’avenir et quelles seraient les pratiques à conserver ?

Paradoxalement – comme souvent dans toute crise – le Covid-19 a constitué un frein et un accélérateur du dialogue social. Il a compliqué la tâche pour tout le monde ; les acteurs du dialogue social n’y ont pas échappé, tant les représentants du personnel que ceux de la direction de l’entreprise. La liberté de circulation a été limitée et il a fallu inventer ou plutôt mettre en place des modalités de dialogue qui auraient demandé des années à s’installer.

Le mix présentiel-distanciel pour l’animation des instances a été un impératif pendant les confinements et couvre-feux ; aujourd’hui, cela est une nécessité car tous les acteurs se sont rendus compte qu’éviter des déplacements ou des réunions physiques n’altérait pas la qualité du travail effectué. Pour autant, passer au « tout distanciel » n’aurait aucun sens. Les relations sociales sont avant tout des relations humaines qui nécessitent du contact, des rencontres concrètes. C’est ce qui est passionnant dans cette « matière » et c’est la raison pour laquelle il est essentiel de la promouvoir. C’est l’essence de l’association Réalités du dialogue social.

Vous êtes adhérent de l’association Réalités du dialogue social dont la vocation est de promouvoir le dialogue social. Pourquoi est-ce si important pour vous ?

Il est important pour La Poste de participer à la promotion du dialogue social qui est à la fois une idée et un facteur de résultat et de performance pour l’entreprise. Le dialogue social ne se résume pas au compromis, loin s’en faut ; mais ce dernier en est un élément structurant. Un compromis n’est jamais un renoncement ; il constitue une étape vers les objectifs que l’on s’est fixés.

Permettez-moi de détailler cette notion de compromis en m’appuyant sur les deux sociologues, Luc Boltanski et Laurent Thévenot, qui analysent le fonctionnement des sociétés contemporaines comme un système d’accords précaires conclus entre différents systèmes de référence en perpétuelle contradiction. Selon eux, dans les différents univers – commerce, production, art, politique ou famille, nous nous trouvons constamment irrités et tiraillés ; le compromis permet de suspendre le différent sans devoir le régler. Il ne satisfait personne mais autorise chacun à poursuivre son chemin. C’est essentiel, non ? 

Paul Ricœur commentant Thévenot et Boltanski écrivait « notre société occidentale est contrainte actuellement d’inventer une civilisation du compromis parce que nous vivons dans une société de plus en plus complexe, où il y a partout de l’autre ». Le compromis est le corollaire de la liberté individuelle. Sa logique est transactionnelle. Il permet de forger des consensus politiques mais aussi d’accepter des comportements divergents. Perdre la capacité de passer des compromis avec les autres comme avec soi-même, c’est prendre le risque de se « bunkériser ».    

Et pour que les relations sociales existent, il faut être deux ; il faut des personnalités courageuses pour accepter le dialogue et le compromis. Cela ne signifie pas pour autant que la confrontation n’existe pas. 

Avez-vous vu un film, écouté un podcast ou lu un livre que vous recommanderiez à la Communauté Réalités du dialogue social ?

J’ai en tête la phrase du banquier humaniste et philanthrope Nicholas Winton qui organisa le sauvetage de plusieurs centaines d’enfants juifs tchécoslovaques pendant la guerre : « n’oubliez jamais que le compromis n’est pas un gros mot. C’est la condition de la vie », aurait-il dit à un dirigeant de cette planète peu porté sur le compromis dans son action politique. 

Sur ce sujet et plus globalement celui des relations sociales et de ses acteurs, j’aime bien de temps en temps picorer quelques pages d’ouvrages comme « L’éloge du compromis » de Henri Weber, ou « les Tisserands » d’Abdennour Bidar, joli mot qui convient bien me semble-t-il aux acteurs du dialogue social ou encore pour comprendre notre temps, l’ouvrage récent de la philosophe Cynthia Fleury « Ci-gît l’amer, guérir du ressentiment ». J’ai bien dit picorer quelques pages….      

Mais c’est essentiel pour sortir du quotidien et de l’action.



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