Revenir au monde d’avant. Analyse Grand Est du dialogue social dans les secteurs de l’Économie Sociale & Solidaire

Les membres de la délégation Grand Est de Réalités du dialogue social, consultés en juin 2021, affirmaient que le dialogue social s’était renforcé dans la période pandémique mais qu’après la phase de traitement de l’urgence sanitaire qui avait donné lieu à des pratiques renouvelées et jugées productives pour le dialogue social, quelques signaux de remise en cause de ces dernières apparaissaient. L’association a donc engagé une série d’entretiens pour identifier ce qui a évolué, les facteurs déclenchants et ce qui tend à se pérenniser, tant sur les modalités que sur les objets de dialogue social.

Premier état des lieux dans l’Économie Sociale et Solidaire (ESS).

15 entretiens ont été menés auprès de dirigeants (président ou directeur) de l’ESS intervenant dans les secteurs (sanitaire, médicosocial, social, animation, culturel, tourisme social, sport) et gestionnaire de Maisons de retraite, résidence autonomie, aide à domicile, soins à domicile, IME, Foyer d’hébergement et de vie pour personnes handicapées, club de prévention ESAT, CHRS, structures d’accueil d’asile, fédération sportive, fédération d’éducation populaire, fédération du tourisme sociale du département de la Marne, des Ardennes, de l’Aube, de l’Aisne et de la Haute Marne.

Des situations économiques et des organisations du travail contrastées

Compte tenu de l’étendue et de la disparité de l’ESS, l’impact de la pandémie sur le plan économique diffère selon les champs d’intervention (sanitaire, médicosocial, social, animation, culturel, tourisme social, sport) :

  • Pour toutes les structures bénéficiant d’une dotation budgétaire de la puissance publique, les conséquences financières ont été contenues,
  • Pour celles qui vendent des prestations, la situation s’est révélée plus contrastée allant jusqu’à la fermeture définitive de la structure, comme dans le tourisme social. Nombre d’entreprises de l’ESS ont dû supprimer des services ou des postes ou déposer le bilan ; de fait l’organisation et le contenu du dialogue au sein de ces entreprises ont été centrés sur ces sujets.

D’une façon générale, toutes les structures expriment leur inquiétude quant au « lendemain » se posant les questions du retour des adhérents, des clients, des prestations, de la prise en charge des coûts liés directement à la gestion COVID (matériel, remplacement…) ou encore d’une baisse des subventions.

Sur le plan de l’organisation du travail, la plupart des acteurs de l’ESS ont mis en place des mesures de télétravail et de chômage partiel durant la première vague (début 2020). La situation était toute autre pour les établissements accueillants du public (EHPAD, CHRS, Foyer de vie…) avec l’obligation de maintenir une présence auprès des publics. Ainsi, le recours au chômage partiel ne pouvait être envisagé.

Depuis septembre 2020, l’ensemble des employeurs est revenu à l’organisation initiale avec quelques aménagements (agencement des espaces, horaires d’ouverture, temps de travail…) à l’exception des structures qui n’ont pas retrouvé le même niveau d’activité. Lorsque cela était possible, des salariés ont été redéployés sur d’autres tâches. Des postes n’ont pas été renouvelés à la fin de la période d’essai ou du CDD ou sur des emplois de saisonnier. Certains salariés ont vu leur nombre d’heures d’intervention revu à la baisse.

Un dialogue social agile

L’ESS n’échappe pas à la tendance de fond qui a prévalu au début du séisme pandémique, à savoir une accélération de la fréquence du dialogue social. Le nombre de réunions a augmenté très fortement : à chaque changement de protocole (confinement, déconfinement, re-confinement, vaccination, télétravail, port de masque ou de blouse, accueil et ouverture aux publics, aux familles, versements de prime…), les employeurs et les représentants des salariés échangeaient pour informer, consulter et décider des modalités localement. Au fil des mois, le rythme est revenu à la normal, sauf dans les périodes d’application de nouvelles procédures ou protocoles.

S’il y a eu une explosion du nombre de réunions (une association a organisée S’il y a eu une explosion du nombre de réunions (une association a organisé toutes les semaines un point de bureau pendant près d’un an !), il n’a pas été constaté de modification importante dans les pratiques à l’exception du recours au distanciel (même animation, même compte rendu, même support…). S’agissant du format des échanges entre direction et représentants du personnel et dans les instances, trois phases se dégagent :

  • Les premières semaines (février – mars 2020), organisation de réunions en présentiel et hebdomadaire,
  • L’apprentissage des réunions en distanciel et hebdomadaires (avril 2020 à septembre 2020),
  • Le retour aux réunions en présentiel et le maintien de quelques points à distance avec un retour à un rythme classique (mensuel).

Le renouvellement du dialogue social passe également par une évolution des parties prenantes, avec de nouveaux acteurs demandant information et justification :

  • les personnes accueils et les familles sur l’organisation du travail,
  • leurs financeurs publics sur l’emploi des fonds publics pendant cette période (quelques cas limités d’employeurs interrogés à ce sujet).

Cette période est venue déstabiliser ou transformer les organisations, modifier le dialogue, la proximité avec les salariés, mais aussi avec les administrateurs des conseils d’administration, avec les représentants des tutelles (conseil départemental, ARS, service de l’état). Source d’un surcroît de travail, la pandémie a pu créer des incompréhensions et de la pression… et a pu jouer un effet amplificateur de tensions préexistantes, entre les directions et des équipes, entre direction et organisations syndicales, entre les directions et les administrateurs.

Exacerbées parfois par des sentiments d’injustice, des désaccords se sont exprimés entre certaines équipes ou catégories professionnelles : les services supports et les équipes éducatives et sociales – les salariés en établissements et ceux intervenant au domicile – les équipes soignantes et les autres.

La conséquence est l’augmentation de départs volontaires de salariés, de ruptures conventionnelles de collaborateurs et de directeurs.

Des syndicats interpellés par les salariés sur de nouveaux sujets

La plupart des organisations (syndicats, fédérations…) ont mis en place des outils de communication hebdomadaire à destination des employeurs et/ou des salariés (webinaire, newsletter, réunion…), l’occasion de détecter leurs sujets de préoccupations nouveaux : les risques professionnels, l’isolement des collègues en télétravail ou qui ne viennent plus dans les locaux (les intervenants à domicile qui ne passent plus dans le service…), l’équité entre les salariés (ceux en poste, ceux en télétravail) puis la liberté de se vacciner ou pas.

Globalement tous les dossiers importants et ouverts en février 2020 ont été suspendus. À l’échelon national, l’État a continué à travailler sur des sujets – la fusion de « l’accord CHRS avec la CCN66 » – ou des réformes – la création d’un accord unique sanitaire, médicosocial et social (annonce prévue en avril 2022).

Dans les entreprises, en 2020, les thèmes de dialogue social étaient centrés sur l’impact de la crise sanitaire sur l’organisation du travail, les risques professionnels, la reconnaissance du travail produit pendant cette période. Début 2021, les sujets plus traditionnels sont revenus à l’ordre du jour accompagnés de nouveaux items : la gestion des absences, la difficulté à recruter et la vaccination.

En bref, les principales questions traitées dans le cadre du dialogue social sont :

  • la mise en place des protocoles,
  • la valorisation salariale (Ségur de la santé) et les primes,
  • les risques professionnels,
  • les mesures du chômage partiel,
  • l’obligation vaccinale et le contrôle,
  • l’organisation du télétravail,
  • la relation aux clients ou à l’usager.

Les accords en cours de négociation portent sur le maintien du télétravail pour les activités qui le permettent. Il semblerait que les entreprises qui prévoient ce dispositif sont celles dont l’ensemble des salariés peut en bénéficier. Le traitement différencié entre les collaborateurs devient un sujet de tension, y compris pour le recrutement (possibilité de jours de télétravail, prise en charge des frais à domicile…). Arrivent aussi à la table des négociations la valorisation des salaires et les conditions d’encadrement et de contrôle du télétravail.

Une volonté de revenir au monde d’avant

Les employeurs de l’ESS expriment une volonté de revenir à une situation « normale », celle d’avant.  Il ne semble pas qu’une nouvelle organisation du dialogue social soit souhaitée ou envisagée. Pour autant, des pratiques à retenir de la période d’urgence sanitaire pour le dialogue social sont énumérées :

  • La capacité d’adaptation des équipes,
  • La qualité du dialogue pour faire face à cette épreuve collective,
  • la dynamique et l’entraide au sein des équipes,
  • la solidarité et la collaboration avec les partenaires de l’entreprise.

Leur poursuite se révèle cruciale d’autant plus dans un contexte où le manque de Leur poursuite se révèle cruciale d’autant plus dans un contexte où le manque de visibilité sur les prochains mois est patent tout comme la difficulté à maintenir le personnel et à recruter de nouveaux collaborateurs. La tension sur le marché de l’emploi pour des métiers du soins mais aussi dans les autres postes (direction, social, service support…) s’accroît, tout particulièrement dans certains territoires éloignés des métropoles.

Les entretiens et la synthèse ont été réalisés par Thomas Dubois, ancien dirigeant de plusieurs structures d’ESS et aujourd’hui consultant – formateur dans le secteur de ESS (coopérative SYNERCOOP).



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