Rémi Boyer, DRH Groupe et directeur général Allemagne de Clariane (ex Korian)

« Le dialogue social n’est pas un sujet de ressources humaines »

Qu’est-ce qui vous a amené à orienter votre parcours professionnel vers le champ des relations sociales ?

Je ne suis pas natif des relations sociales. Historiquement, j’ai occupé des fonctions de généraliste RH, plus précisément dans le développement RH. J’ai démarré dans l’industrie dite lourde – sidérurgie puis automobile – et, dans ces secteurs, il est impossible de travailler main dans la main avec les relations sociales puisque cela fait partie du dispositif de transformations permanentes de l’entreprise.

Lors de mes premières responsabilités opérationnelles, comme DRH de branche chez Arcelor, les relations sociales étaient au cœur même de la performance du métier RH et de l’activité elle-même. Personne ne se posait la question de savoir s’il devait y en avoir ou pas. Ce qui m’a rapproché des relations sociales c’est le besoin permanent de les pratiquer pour atteindre mes objectifs opérationnels. Cela fait partie du job d’un DRH d’activité de connaître les représentants syndicaux des différents pays et je me suis toujours appuyé pour cela sur les DRH pays, véritables facilitateurs des transformations à réaliser ;  et c’est comme cela que je suis venu aux relations sociales. De la même façon, dans l’industrie automobile, chez PSA (désormais Stellantis), alors en charge du développement RH, dont la GPEC, les filières métiers, la formation…, je travaillais en permanence avec les relations sociales du Groupe pour mettre en œuvre concrètement les projets engagés.

À l’époque, J’avais intégré dans mon rôle l’importance de connaître la culture syndicale non seulement du pays, mais aussi de l’activité et d’établir une sorte de cartographie des relations sociales, qui peuvent se révéler différentes d’une branche à une autre, y compris au sein d’un même pays. Chez PSA nous avions un système très robuste de « management des relations sociales » (le « SMRS ») qui constituait le socle social de toutes nos actions. Le « DRS » de PSA à l’époque était une personne incontournable, écoutée et instrumentale dans la réussite des projets de transformation. 

Y-a-t-il des faits marquants, des réalisations dont vous êtes particulièrement fier   ?

J’en citerai trois. Tout d’abord, le premier accord GPEC de PSA en 2012 concernant le Dispositif d’Accompagnement des Emplois et des Compétences (DAEC), toujours en vigueur 10 ans plus tard. C’est un évènement qui m’a marqué car il s’agit d’un texte fondateur, solide, co-construit entre l’équipe compétences, le développement RH et le département des relations sociales, et qui a porté toutes les transformations collectives de PSA et de Stellantis jusqu’à aujourd’hui en France.

Cet accord GPEC, véritable « fusée à étages », établissait une bibliothèque d’actions activables en fonction des situations ; cela partait de la GPEC simple jusqu’au possible PSE en passant par le plan de départ volontaire mais aussi toute la politique de développement RH interne de l’entreprise, de formation, de reconversion. Il intégrait aussi des opérations innovantes, devenues banales depuis comme le dispositif « passerelles » ou le « passeport compétences » pour activer la mobilité externe et les reconversions chez des entreprises partenaires. Oui, je suis assez fier de cette réalisation, fruit du dialogue social.

Deuxièmement, la charte Clariane sur le dialogue social européen que nous venons de signer. Nous avons réalisé une belle négociation dans un groupe jeune, avec une diversité d’instances de dialogue social selon les pays et des cultures syndicales différentes ; il fallait décider quel était le bon niveau de dialogue social par pays et au niveau européen, tout cela dans une logique de subsidiarité, pour chacun ne se trompe pas sur son rôle et fait ce qu’il doit faire à son niveau ; il fallait qu’on l’écrive. Grâce au groupe de négociation du CESE, nous sommes parvenus à un texte généraliste qui pose les principes de ce qu’on veut faire. Nous avons décrit les échelons de dialogue social en partant du site (c’est déjà cadré en France ; ce qui n’était pas le cas en Allemagne), puis de la région, si c’est pertinent, pour aborder le national (en France c’est obligatoire mais pas toujours dans les autres pays) et enfin pour terminer sur le CESE.

Quelle que soit l’histoire des entreprises rachetées, fusionnées, il y a désormais un socle minimum de dialogue social qui s’applique à l’ensemble des pays et complètement cohérent avec nos engagements de société à mission. Et sans cette charte, sans cette gouvernance sociale commune à l’ensemble des pays, nous n’arriverions certainement pas à atteindre les objectifs de mission que Clariane s’est fixés.

Enfin, il y a un événement qui m’a marqué à vie, un peu au fer rouge, mais positivement ! En 2005, j’ai découvert la « Mitbestimmung » (co-détermination) à l’allemande alors qu’un plan social, dans une usine Arcelor à Brême, devait réduire les effectifs de moitié, de 3 200 à 1600. Le projet avait été co-construit avec les syndicats et co-présenté par le maire de la ville, le représentant des syndicats allemands, le patron et le DRH de l’usine et le président de la « Betriebstrat » (comité d’entreprise). En même temps, se déroulaient des grèves violentes contre la fermeture de la phase à chaud des hauts fourneaux en France et en Belgique. Cette période a été marquante pour moi car un même événement mettait en exergue deux cultures opposées de dialogue social.

Vous êtes adhérent de l’association Réalités du dialogue social dont la vocation est de promouvoir le dialogue social. Pourquoi est-ce si important pour vous ?

Ce n’est pas une option ; le dialogue social fait partie intégrante de la vie de l’entreprise et en tant que DRH, je ne me pose pas la question de savoir si je dois le pratiquer ou pas. Le dialogue social constitue d’abord un contre-pouvoir car l’entreprise est par nature assez souveraine  ; ce n’est pas un lieu démocratique ; les dirigeants ne sont pas élus par les employés ; ils sont là pour un objet social et économique comme l’a reconnu le code civil. Mais, nous avons besoin de relais permanents et pertinents dans l’entreprise qui passent par le management mais aussi et surtout par les employés. Ces derniers ont des représentants, ils doivent en avoir ; autrement les stratégies ne sont pas efficaces car elles ne sont pas adoptées, comprises par le corps social et elles sont vouées à l’échec.

Le dialogue social n’est pas un sujet de ressources humaines ; nous sommes là pour aider, pour respecter la loi et s’assurer que le cadre social est conforme à la vocation de l’entreprise ou sa mission ; le dialogue est  porté avant tout par le management de proximité.

C’est très bien qu’il y ait un endroit comme l’association RDS, une sorte de plateforme d’échange libre sur le dialogue social, sans enjeu autre qu’approfondir en permanence la compréhension du dialogue car c’est une réalité mouvante et complexe, à l’image de nos sociétés européennes.

Le dialogue social est un objet assez peu identifié, très large, au-delà de la règlementation, des élections professionnelles, des IRP, des accords, tout ce que la loi propose. L’idée est de s’assurer en permanence que les salariés soient entendus au bon niveau et de manière régulière pour faire en sorte que les décisions portées par les directions soient efficaces.

Avez-vous vu un film, écouté un podcast ou lu un livre que vous recommanderiez à la Communauté Réalités du dialogue social ?

J’ai beaucoup apprécié le livre « Pour aller dans le bon sens » du PDG de Nexans, Christopher Guérin qui mène une réflexion sur le sens de l’entreprise, en analysant les biais de la connexion entre les dirigeants et les salariés.

À son arrivée à la tête de Nexans, Christopher Guérin a établi un Plan stratégique comme tout nouveau chef d’entreprise puis il s’est aperçu en allant confronter son plan au terrain que pour l’ouvrier, sur sa machine, le plan à x années n’avait aucun sens pour lui. Le PDG a alors fait une sorte de « reality check » et après une tournée avec ses dirigeants ils ont ajusté le tir en écoutant les « cols bleus » et en adaptant son plan stratégique au plus près des salariés et de leur manière à eux de restranscrire le plan d’entreprise.

Sa thèse consiste à accepter de reconnaître que le temps des plans stratégiques de « cols blancs à cols blancs » est révolu et qu’il faut aller à la reconquête du corps social, en faisant parler les personnes du terrain, pour qu’elles s’approprient le projet d’entreprise. Il a bâti une boussole d’analyse de la performance – opérationnelle, environnementale, sociale… – pour que chaque site s’y retrouve et applique plus facilement le plan stratégique du « big boss » ; ceci afin d’éviter cette phrase grinçante que j’ai retenue de la part d’un « col bleu » justement : « le plan stratégique d’une entreprise c’est la réponse à des questions que les cols bleus ne se posent pas » !!!

C’est très pragmatique, cela se lit bien. Un ouvrage rafraîchissant.

Malgré le fait qu’il ait été rédigé il y a 2000 ans, cet ouvrage est d’une contemporanéité étonnante ; il s’agit d’une sorte de livre de bord philosophique, qui pourrait aujourd’hui s’apparenter à un ouvrage de développement personnel.

Marc-Aurèle y soliloque pour se remémorer les règles de vie à suivre pour progresser vers la sérénité et discipliner ses actions.

Chacun pourra y puiser de salutaires conseils pour mener une vie meilleure…ou s’engager sur le chemin de la sagesse. Il s’agit d’un ouvrage à conserver toujours auprès de soi et dans lequel il fait bon se plonger, au hasard des évènements de la vie, de temps en temps.



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