Soazig Sarazain, Responsable du Master Négociations et Relations sociales, Université Paris Dauphine- PSL

« Le dialogue social sera en réalité ce que les acteurs sociaux voudront bien en faire dans leur entreprise »

Qu’est-ce qui vous a amené à orienter votre parcours professionnel vers le champ des relations sociales ?

Après avoir été avocate, puis travaillé dans le secteur de la santé, j’ai découvert les relations sociales au sein de Pôle emploi en devenant sa responsable des affaires juridiques et sociales. 

Au delà du formalisme et du jeu de théâtre des instances et des négociations, j’ai découvert en quoi les relations sociales formelles et informelles –  tous les échanges et dialogues qui se tissent autour du travailler ensemble dans un collectif –  sont des composantes essentielles des relations de travail.  J’ai pu en effet expérimenter le fait que le dialogue social permet de construire un cadre social qui rassemble durablement des communautés de travail après une  fusion, J’ai aussi pu expérimenter le fait que le dialogue social est un levier puissant d’accompagnement des transformations. 

Négocier avec les femmes et les hommes qui portent des mandats pour trouver des points d’accords en dépassant les positions antagonistes et parfois dogmatiques est passionnant car vous êtes au coeur du capital social de l’entreprise. 

Il faut se préparer, travailler en off, dépasser ses stéréotypes, se remettre en question et créer des solutions, bâtir des ponts pour sortir du désaccord et construire les conditions du dialogue et d’un accord, et c’est ce que j’aime dans ce métier. Les relations sociales sont fondées sur l’Humain, sur la culture et l’histoire de l’entreprise mais également du modèle social du pays dans lequel elle évolue. Il n’y a pas de modèle, pas de recette parfaite ni de remède miracle, juste des rapports humains à établir, des relations à créer, un climat à faire vivre et à mettre en lien avec la raison d’être, les missions et la stratégie de l’entreprise. Chaque mode de gestion des relations sociales est différent d’une époque à une autre, d’une entreprise à une autre, d’une activité à une autre, d’une branche à une autre.

Sortir des stéréotypes, enseigner, accompagner les acteurs du dialogue social pour installer et faire vivre des relations sociales à leur image, voilà ce qui m’anime aujourd’hui au quotidien au sein de VOXNEGO en travaillant aux cotés de mes clients. 

Quel regard portez-vous sur le dialogue social et sur son rôle dans la gestion des crises diverses (sanitaire, géopolitique, économique…) ? Quelles sont les évolutions souhaitables pour l’avenir ?

Face au délitement du lien social, à l’oeuvre depuis de nombreuses années et accentué par les confinements successifs, le dialogue social permet de recréer un lien collectif, légitime dans les entreprises à partir du moment où il permet, par le biais de la représentation collective, de porter la voix des salariés et de les faire participer aux grandes décisions de l’entreprise dans laquelle ils travaillent. En cela, il est essentiel aujourd’hui pour travailler cette question du sens du travail.

Par ailleurs, le dialogue social est traversé en permanence par les questions de société et sert de relai dans l’entreprise à ces questions. Qu’il s’agisse de la place du fait religieux, de celle du travail dans nos vies ou encore tout récemment des nouvelles formes de conflictualité (Gilets jaunes) ainsi que des formes d’engagements militants au sein des collectifs (les néo syndicats), tous ces sujets sont aujourd’hui portés devant les instances, sujets de négociation entre les acteurs sociaux de l’entreprise. Je ne sais pas quelle sera l’évolution du dialogue social car, même si beaucoup s’accordent à dire qu’il va mal, il sera en réalité ce que les acteurs sociaux voudront bien en faire dans leurs entreprises. Toutefois, pour que cela fonctionne et que les défis à relever trouvent des issues favorables, je suis persuadée que les représentants de la direction et les représentants du personnel doivent être dotés des qualités suivantes : 

  • Tout d’abord, le courage pour transformer un cadre juridique limitant et contraignant les CSE et les négociateurs à examiner des sujets obligatoires, à échéance imposée par le Code du travail, en un espace de dialogue partagé concentré sur les priorités et les enjeux de l’entreprise définis avec l’ensemble des acteurs du dialogue social, pour oser s’affranchir de la croyance collective qu’un « bon expert » en relations sociales est avant tout un bon juriste. 
  • Ensuite, la créativité et l’innovation, pour tester, expérimenter de nouvelles formes de relations sociales et appliquer celles qui sont les plus appropriées à l’entreprise et aux enjeux business du moment. 
  •  L’humanisme, car les relations sociales sont avant tout des relations humaines, basées sur la connaissance, le respect ; deux qualités essentielles pour installer de la confiance, indispensable à un dialogue pragmatique, loin des combats et des postures d’arrière-garde aujourd’hui dépassées ! 
  • La stratégie enfin, car c’est un monde exposé, exigeant, au cœur des enjeux sociaux, économiques  et environnementaux.

Vous êtes adhérente de l’association Réalités du dialogue social dont la vocation est de promouvoir le dialogue social. Pourquoi est-ce si important pour vous ?

Cette association est en quelque sorte la continuité de ce qui se passe au sein du Master négociation et relations sociales que je dirige à l’université de Paris Dauphine PSL. Ce Master a été crée en 2008 sous un format inédit à l’époque, celui d’une formation paritaire, réunissant des responsables RH, des dirigeants et des leaders syndicaux, afin de leur offrir un cadre neutre et pacifié, propice à la découverte de l’autre, pour se former ensemble sur les relations sociales et la négociation. Cette formation permet de dépasser une approche du dialogue social vu comme un passage obligé ou pire, comme un frein aux développements des projets de l’entreprise et poursuivant, me semble t-il, des objectifs identiques, l’association décrypte également les nouvelles problématiques auxquelles sont confrontées les relations sociales et participent à la connaissance et au partage indispensable entre les acteurs du dialogue social, quelle que soit la place qu’ils occupent à la table des négociations, pour  redonner sa place à la démocratie sociale dans l’entreprise et ainsi apaiser les relations collectives et individuelles au sein des organisations au profit de la performance économique. 

Avez-vous vu un film, écouté un podcast ou lu un livre que vous recommanderiez à la Communauté Réalités du dialogue social ?

Je viens tout juste de terminer la lecture de l’ouvrage collectif piloté par Bruno PALIER, « Que sait on du travail ? » et je recommande sa lecture. Ce livre porte entre autres, l’ambition de faire connaitre les réalités du travail aujourd’hui en France pour lutter contre les stéréotypes, et, éclairé des travaux de nombreux chercheurs en sciences sociales, de remettre dans le Débat public les questions de qualité des emplois – tout particulièrement ceux que l’on a jugés essentiels pendant la crise sanitaire. Il revient également sur les conditions de travail, les modes de managements, la santé et la sécurité au travail ou encore les inégalités dont sont victimes certaines catégories de travailleur.e.s. 

C’est un ouvrage complet composé de courts articles accessibles et surtout très éclairants pour les acteurs sociaux que nous sommes, et vient nourrir les réflexions que l’association a présenté sur la qualité de travail ! 



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