Sylvain Ducroz, directeur des ressources humaines de l’AP-HP

Le tripartisme est une formule de l’AP-HP que nous allons essayer de faire vivre

Qu’est ce qui vous a amené à orienter votre parcours professionnel vers le champ des relations sociales ?

En tant que directeur d’hôpital, il est naturel d’exercer la fonction Ressources humaines, pas nécessairement en début de carrière car cette dernière est considérée comme difficile dans un hôpital. Nous nous y orientons lorsque nous avons de l’expérience. C’est un schéma assez naturel.

Même pour les autres fonctions de direction, la partie concertation prend l’essentiel du temps de travail ; par exemple, en tant que directeur des finances, le budget est négocié avec les instances d’une part, les médecins d’autre part. Il y a un volet dialogue social dans toutes les missions de direction d’hôpital et il est important de développer cette compétence. En bref, j’ai l’impression d’avoir toujours fait du dialogue social, dans divers cadres. Ce qui change véritablement, c’est d’intervenir à l’échelle des 70 000 agents de l’AP-HP, ce qui accroît les moyens d’action. 

J’ai aussi choisi d’exercer les fonctions de DRH, compte tenu de la personnalité du directeur général de l’AP-HP, Martin Hirsch, qui porte une exigence forte en matière de dialogue social, s’y implique beaucoup lui-même, participant notamment à toutes les instances. Nous partageons une approche commune du dialogue social et la conviction  et, y compris dans la fonction publique hospitalière, nous disposons de vraies marges de manœuvre.

Quel regard portez-vous sur le dialogue social dans cette période pandémique ? Quelles sont les évolutions souhaitables pour l’avenir et quelles seraient les pratiques à conserver ?

La pandémie a été un catalyseur d’amélioration du dialogue social ; pendant toute la première année, il y a eu une communauté de vues, y compris entre les organisations syndicales car nous avons partagé les mêmes difficultés. Nous avons par exemple essuyé des critiques sur les moyens de protection mis à disposition des soignants ; mais nous nous sommes fait confiance sur nos capacités et nos difficultés conjointes à gérer la crise. Nous avons essayé d’être très transparents vis-à-vis des organisations syndicales, en expliquant les solutions que nous avions, les réponses que nous n’avions pas.

De manière concrète, nous avons tenu avec nos représentants des points téléphoniques d’informations réguliers en dehors des instances ; cela a pu également faire office de concertation et de négociation, par exemple quand nous avons adapté nos dispositifs pour les personnels sur le temps de travail ou la protection sociale. 

Ces échanges simples et rapides ont été appréciés des deux côtés car cela permet d’être plus réactif ; c’est quelque chose que nous allons vraisemblablement maintenir.

A cette période de crise  a succédé le « Ségur de la santé », moment important dans la fonction publique hospitalière car depuis 30 ans, nous n’avions pas eu d’annonces aussi favorables de revalorisation.

De notre côté, nous avons utilisé cette période favorable pour négocier notre projet social (tous les 5 ans en plus du projet médical et d’établissement, nous travaillons sur la composante sociale avec des engagements sur l’emploi, la formation, la politique sociale) et nous avons réussi à obtenir l’accord de Sud en plus de celui de la CFDT, ce qui constitue une petite révolution dans notre environnement.  Nous souhaitons faire perdurer notre nouveau processus de concertation initié avec ce projet social. Dans la Fonction Publique Hospitalière, les instances représentatives sont très dissociées : d’un côté, celle pour les médecins, de l’autre, une instance pour les non médecins qui représentent 90 % du personnel. Tous les projets passent devant l’une, puis devant l’autre. Toute la concertation est dédoublée. 

Dans le cadre du projet social et puis d’établissement, nous avons proposé de négocier en « tripartite » (direction, médecins, organisations syndicales représentatives du personnel). Nous aurons toujours nos instances officielles mais à côté, cette nouvelle instance de concertation, non officielle, va permettre de dépasser les clivages habituels  ; par exemple, en abordant le temps de travail des non soignants, cela nous a permis d’obtenir des engagements des médecins sur leur propre organisation. Ce tripartisme est une formule de l’APHP que nous allons essayer de faire vivre. Cela change le positionnement des acteurs et, donc, notre capacité de négociation.

Vous êtes adhérent de l’association réalités du dialogue social dont la vocation est de promouvoir le dialogue social. pourquoi est-ce si important pour vous ?

Adhérer à l’association me permet de bénéficier de l’apport d’autres structures, du privé notamment qui a beaucoup d’avance en termes de dialogue social par rapport au secteur public ; cela m’intéresse de connaître leur point de vue, leurs expériences, par exemple sur la mise en place du CSE ou sur le télétravail. J’apprécie aussi de pouvoir partager avec des personnes qui ne sont pas seulement des employeurs mais qui viennent du conseil, de l’université, et de pouvoir échanger dans un cadre plus large que celui de notre environnement professionnel habituel.

Avez-vous vu un film, écouté un podcast ou lu un livre que vous recommanderiez à la communauté réalités du dialogue social ?

Spontanément j’ai pensé au Quai de Ouistreham de Florence Aubenas dont j’ai pu voir l’adaptation théâtrale l’année dernière, mise en scène par Louise Vignaud. C’est resté d’actualité alors que l’ouvrage a 10 ans et cela a une résonnance particulière dans le monde hospitalier. Début 2020, les prestataires de ménages étaient présentés comme des personnes héroïques, en première ligne et, un an après, ils restent dans une situation de grande précarité et de travailleurs pauvres. A ce titre, impossible d’oublier ce que Florence Aubenas avait décrit de l’intérieur.



X